Le directeur des études et de la recherche criminologique de l’INCC à Horizons
« L’ampleur des comportements antisociaux violents est plus ressentie que vécue »
Dans cet entretien, le directeur des études et de la recherche criminologique au niveau de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) de la Gendarmerie nationale, le lieutenant-colonel Demen Debbih Zahreddine, apporte un éclairage sur l’assassinat des enfants et l’évolution de la criminalité au sein de la société.
Pourquoi la société algérienne est devenue ces dernières années violente ?
Le grand problème qui se pose est que cette « ampleur » n’est pas vérifiée statistiquement, c’est l’effet des médias dans le traitement des sujets liés à la délinquance et la criminalité. Une quarantaine d’enlèvements pour une population de plus de 37 millions, est un taux insignifiant, il n’est pas du tout alarmant. La criminalité se mesure par des taux et non pas par des chiffres absolus. Il faut revenir sur la stratégie tracée par le commandement de la Gendarmerie nationale qui a opté pour une approche plus scientifique en mettant en place un dispositif préventif et scientifique à travers la création de brigades spécialisées dans la lutte contre la délinquance juvénile, et l’Institut national de criminologie et criminalistique, avec ses deux disciplines, traite la criminalité sous ses divers aspects.
Procédez-vous pour évaluer ces taux ?
On travaille sur les indicateurs officiels de la criminalité. On travaille sur les statistiques de la police, la Gendarmerie et la Justice mais aussi sur le nombre de condamnations prononcées annuellement par les tribunaux ainsi que les statistiques des établissements pénitentiaires sur le flux de la population carcérale. Ces statistiques nous informent sur la criminalité avérée. Par exemple, sur un cas suite à une plainte où le fait criminel est enregistré. Mais il existe la criminalité vécue qui n’est pas enregistrée. Dans plusieurs cas, la victime se rétracte et ne dépose pas plainte. Il y a aussi l’absence de victimes dans des cas de crimes tels la corruption où il y a échange d’intérêts. Dans cette forme de criminalité peu signalée, il n’existe pas de victimes et les auteurs sont arrêtés en flagrant délit. C’est le chiffre noir de la criminalité qui est la partie cachée mais la plus importante.
Existe-t-il un moyen scientifique pour endiguer ce chiffre noir ?
Les criminologues ont implanté deux indicateurs pour limiter le chiffre noir à travers les enquêtes par sondage sur la victimisation qui consiste à questionner un échantillon de la population représentative sur les formes de crimes durant une période. On met une batterie de questions parce que les sondages nous informent beaucoup plus sur la criminalité. Et c’est à travers l’analyse des réponses qu’on peut détecter le profil psychologique, la motivation et les caractéristiques de la victime.
Les résultats sont-ils fiables ? Les questionnés répondent-ils sincèrement ?
Je tiens à préciser que ces sondages sont anonymes auprès de la population de même pour les sondages sur la délinquance auto-révélée ou ce qu’on appelle la délinquance auto-reportée. Des personnes ont révélé qu’elles ont commis des faits pénalement punis sans être interpellées puisque leurs réponses étaient anonymes. A travers ces sondages, on découvre la vraie criminalité qui n’est pas comptabilisée.
Pensez-vous, qu’aujourd’hui, on a tendance à banaliser le crime ?
A partir de la fin des années 90, le terrorisme disparaît progressivement et laisse place, par effet de banalisation du crime, à une criminalité de plus en plus « violente », générant une situation marquée par le développement des atteintes aux biens et aux personnes avec violence. Mais il s’agit en fait, d’une délinquance visible par effet des médias. L’ampleur des comportements antisociaux violents est plus ressentie que vécue ou vérifiée statistiquement, ce qui alimente le sentiment d’insécurité chez les citoyens.
Quelle est la forme de criminalité la plus dominante dans la société algérienne ?
Les coups et blessures volontaires viennent en tête suivis des atteintes aux biens dont les vols. La majorité de leurs auteurs est issue de milieux défavorisés et possède un niveau d’instruction limité. L’individu est violent, alors il ne communique que par la violence.
Il y a aussi les batailles rangées entre des bandes organisées. C’est aussi une forme de réponse à un malaise social...
Ces comportements violents seraient générés par une association de facteurs sociaux tels que l’éclatement des structures familiales, les conditions socio-économiques, le développement des technologies de l’information et de la communication, la consommation des stupéfiants, la diffusion de scènes violentes par les médias, la dégradation des valeurs morales, la concentration de l’école sur le rôle d’enseignement pour faire face à l’avancée technologique au détriment du rôle éducatif.
Comment analysez-vous la délinquance qui touche la femme et le mineur ?
Ce qui a frappé la société algérienne n’est pas aussi simple. Notre pays a connu des transmutations sociales et des étapes, tels les événements du 5 Octobre 1988, ce qui a causé un déséquilibre. En outre, la violence terroriste a profondément marqué et traumatisé la société. Avant, le petit délinquant volait à la sauvette et la victime n’était pas agressée physiquement mais l’effet du terrorisme a influé sur le petit délinquant. Le préjudice physique est plus important que l’objet volé. Les grands-parents ou la tribu ne sont plus une référence morale. On va vers l’anonymat et la famille nucléaire avec l’individualisme qui règne dans les grandes villes surtout. Le développement de la société va créer de nouvelles formes de criminalité. Il y a aussi l’accès à l’Internet en l’absence du contrôle parental et le développement des moyens technologiques. Le mineur consomme des scènes de violence. Celle-ci est devenue une matière commerciale. L’école se limite à l’enseignement au détriment de l’éducation. Avant, l’enseignant occupait la même place que le père mais avec l’avancée technologique, la charge du programme, le rôle de l’éducateur a reculé.
La lutte contre la délinquance passe par une connaissance fine et objective du phénomène. Que fait la Gendarmerie dans ce sens ?
Actuellement, la criminologie devient incontestablement une revendication sociale, une discipline scientifique convoitée par les milieux de la recherche et l’enseignement académiques. Il est utile de rappeler à juste titre que le phénomène criminel est avant tout le produit de la société. L’action policière proprement dite ne constitue que le dernier maillon en matière de prise en charge de la criminalité. Tenant compte des directives du Commandement de la GN, la direction des études et de la recherche criminologique a opté pour une criminologie appliquée à des fins opérationnelles qui vise non seulement à aider à la prise de décisions en matière de traitement de la criminalité mais également à traduire d’une manière scientifique les besoins des unités opérationnelles afin de proposer un meilleur exercice et une meilleure prise en charge des missions relatives à la sécurité publique. Cette démarche vise deux principaux objectifs : répondre aux besoins du commandement et fournir un éclairage aux pouvoirs publics en matière de compréhension des phénomènes criminels et de traitement global de la criminalité.
L’enlèvement et l’assassinat des enfants sont les faits les plus marquants ces derniers mois en matière de délinquance et de criminalité…
L’analyse des données statistiques relatives à l’enlèvement d’enfants démontre que les affaires d’enlèvement d’enfants en Algérie ne revêtent pas l’ampleur d’un phénomène criminel statistiquement important. Le sentiment d’indignation de l’opinion publique dans la société algérienne avec ses ancrages socioculturels et religieux, a vu une sur-représentation animée par la sur-médiatisation. Il faut mentionner à ce titre, que l’ampleur des phénomènes criminels ne se mesure pas en valeurs absolues mais par des taux comparés à la population globale de la société. Dans ce sens, je tiens à appeler les médias à l’objectivité et à se limiter à l’information et à la phase de l’enquête loin du sensationnel.
Existe-il un profil type du pédophile ?
Dans la théorie psychanalytique, la pédophilie est incluse dans les perversions. La perversion est considérée dans la terminologie psychiatrique comme une conduite sexuelle déviante dans laquelle le partenaire n’est pas considéré comme une personne mais simplement comme un objet nécessaire à la satisfaction sexuelle, et vis-à-vis duquel une vive hostilité est ressentie. Non, le pédophile n’a pas de profil type. La typologie des enlèvements d’enfants enregistrés répond à des motivations animées par des comportements sexuels déviants (pédophilie). Il n’existe pas de profil type de délinquant sexuel, car les situations problématiques dans ce type d’affaires sont complexes et diverses. L’auteur répond principalement, au profil psychopathologique et il existe différents types d’agresseurs et chaque pédophile est particulier, puisque la structure psychopathologique est à déterminer pour chaque cas. Néanmoins, il est utile de vérifier, systématiquement, un éventuel traumatisme sexuel précoce ou des frustrations sexuelles qui seraient à l’origine de ces comportements déviants graves. Pour ce qui est du lien victimologie, généralement il est remarqué que l’enfant est méfiant à l’égard des personnes étrangères, donc il difficile pour le pédophile d’approcher un enfant inconnu. Souvent l’auteur entretient une relation de proximité avec la victime : ami de la famille, voisin, lien d’autorité familiale. Ce qui expliquerait le recours des criminels au meurtre, a posteriori, pour minimiser les risques de leur identification par leur victime en premier lieu. Les violences sexuelles exercées dénotent le sentiment de déni de la personne de la victime chez l’auteur. Dans le processus criminel sexuel, la victime, qu’est l’enfant, ne représente qu’un moyen d’assouvir ses pulsions sexuelles déviantes, ce qui est appelé en psychiatrie légale la chosification de la victime.
Les agressions sexuelles contre les mineurs sont en hausse. Comment lutter contre ce phénomène ?
Afin d’en limiter les incidences, il serait utile que des actions soient entreprises à l’égard des auteurs de délits sexuels, notamment les récidivistes, par la création d’un fichier national des délinquants sexuels et l’instauration des traitements d’obligation prononcés par des ordonnances judiciaires accompagnés de sanctions pénales.