Géopolitique du renseignement militaire
Jean-François Fiorina avec le Général Hingray
Le général Frédéric Hingray commande la discrète mais puissante brigade de renseignement (BR) de l’armée de Terre. La géopolitique, il la pratique très concrètement au quotidien. Car la connaissance du terrain est indispensable à la bonne compréhension des situations et de l’environnement dans lequel agit la force.
Pour lui, il existe d’ailleurs des analogies entre guerre et guerre économique. Dans les deux cas, il faut trouver la bonne information au bon moment, la vérifier et l’exploiter au mieux pour prendre la bonne décision, rapide et pertinente, en toute confidentialité. Un entretien rare sur cette unité peu connue mais hautement spécialisée, qui intervient sur tous les théâtres d’opération où sont déployés nos soldats.
Le renseignement est sans doute aussi ancien que l’art de la guerre. En quoi est-il aujourd’hui indispensable à la conduite des opérations militaires ?
L’enjeu aujourd’hui comme hier est inchangé : il s’agit toujours de savoir pour comprendre les situations, l’environnement, et agir à bon escient, souvent dans l’urgence, afin de prévenir les menaces, les désamorcer, les contrer, les neutraliser. Bref, il s’agit toujours de dominer l’adversaire (supériorité opérationnelle), un adversaire qui a beaucoup changé de nature depuis la fin de la guerre froide et des grands conflits classiques du type « guerre du Golfe ».
Aujourd’hui, les opérations militaires sont d’abord confrontées à l’individualisation de la menace : un ou des terroristes ou un ou des petits groupes d’assaillants, un EEI – engin explosif improvisé – posé sur le passage d’un convoi, un tir de roquette soudain contre une emprise militaire, etc.
Ensuite, il y a l’aspect asymétrique à prendre en compte : ce ne sont pas forcément des troupes organisées et identifiables, en uniforme, qui s’opposent à nous, mais des groupes armés hétérogènes, à l’exemple des réseaux et groupes extrémistes ou djihadistes immergés le plus souvent dans la population.
La seconde caractéristique des conflits modernes est l’environnement humain permanent dans lequel se déroulent les opérations militaires, populations victimes directes ou collatérales des actes de violence perpétrés par nos adversaires, qu’il convient d’épargner et de protéger tout en ayant conscience qu’en leur sein se cachent facilement ces mêmes adversaires.
Dans ce contexte, le renseignement doit être beaucoup plus précis, exhaustif et réactif pour permettre l’action efficace, tout en s’appuyant sur des informations beaucoup plus fugaces et morcelées que par le passé, dont il convient de s’assurer de la pertinence et de la robustesse dans des délais contraints.
Quelles analogies voyez-vous avec les systèmes d’intelligence économique (IE) mis en oeuvre par les entreprises pour anticiper et gérer les risques liés à une implantation à l’étranger, a fortiori en zone instable ?
L’analogie réside, je crois, dans la capacité à saisir la bonne information au bon moment, à s’assurer de sa validité, et à l’exploiter dans un cycle décisionnel approprié pour obtenir une appréciation de situation consolidée et partagée, propice à la prise de décision rapide et pertinente, tout en garantissant en permanence la confidentialité de l’information et de son traitement.
Évidemment, l’IE s’exerce sur un autre théâtre que celui des opérations militaires et les enjeux sont plus économiques et liés aux risques, avec des enjeux sécuritaires en principe moins prononcés mais qu’il convient aussi de bien prendre en considération.
Vous commandez la brigade de renseignement de l’armée de Terre depuis bientôt deux ans. Le grand public connaît peu cette unité très spécialisée, qui intervient pourtant sur tous les théâtres d’opération où sont déployés nos soldats. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Quelles sont ses principales missions ?
La BRENS est une grande unité spécialisée des forces terrestres. Elle appartient à l’armée de Terre. Il convient de la distinguer des « services de renseignement » nationaux qui relèvent du ministre de la Défense avec lesquels existent bien sûr des synergies, notamment avec la DRM (direction du renseignement militaire), qui est un employeur de nos capacités.
La brigade est constituée de 5 régiments spécialisés dans le renseignement d’origine humaine (ROHUM), image (ROIM), électromagnétique (ROEM), géographique (GEO) et d’un petit état-major (60 personnes), soit au total environ 3600 personnes. Son centre de gravité est situé en Alsace.
Ma mission est de former les hommes et les femmes du renseignement terrestre dans ces 4 spécialités, les entraîner à la maîtrise des moyens et des procédures associées et à opérer ensemble, les intégrer dans des structures « multicapteurs » réunissant tout ou partie de ces différentes spécialités, sous un commandement unique, afin de conduire des opérations de recherche en appui et au rythme d’une force aéroterrestre déployée sur un théâtre d’opération.