l'Emir Abdelkader

De l'époque numide aux temps modernes.
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foxy72
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par foxy72 »

et aussi les Ouled Sidi Chikh, contre lesquels se sont alliés l'émir Abdlekader et les forces coloniales françaises.

Effectivement le traité de la Tafna n'est que pur traîtrise dont le résultat n'a été que 132 années à suivre d'obscurantisme, de rapine, de meurtres, d'injustices et j'en passe.

numidia
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par numidia »

saf a écrit :
je pense que tu oublies que l'Emir était bien le seul à avoir compris l'importance d'inscrire sa démarche politique dans un cadre juridique et institutionnel, ce qui révèle une maturité et une clairvoyance très très rare à l'époque au Maghreb
instaurer un Etat avec des institutions régaliennes: la monnaie, la justice, la guerre, etc... c'est un coup de maître !
Certainement pas le seul, à l'est il y avait Bey, le Bey Ahmed rabi yedhekrou bel khir, avec une justice, une monnaie, car je te rappelle qu'avant le débarquement des français, et donc avant l'Emir Abdelkader il y avait un État. l'Emir n'a pas réinventé la roue. Le traité de la Tafna est une trahison de l'Emir étant donné qu'il reconnait la souveraineté de l'occupant. Ce qu'il a perdu c'est son égaux, ce qui explique sa tendance soufi après sa défaite alors que la majorité des algériens sont malikites.
Saf, merci pour ton message qui me permet de reprendre mon propos

1) je ne parlais pas de l'aspect purement existence juridique d'un "Etat" en Algérie, terme anachronique mais pour répondre à ton message, je voudrais que tu relises les propos tenus, nous parlions de la période coloniale; et là en effet très peu pouvait comprendre et répondre à l'arrivée d'une puissance exterminatrice et destructrice

2) j'ouvre un point important sur l'aspect juridique
le contenu de ton message s'y prête,
l'Algérie a un statut juridique international depuis le XVIIième siècle selon des critères précis et des documents officiels, qui sont aux archives en Turquie
le rôle de pouvoir et d'autonomie de pouvoir pour les territoires algériens est donc authentique près de 200 ans avant 1830 !
ceci se retrouve dans les travaux d'historiens français et algériens ayant travaillé sur la question (j'ai lu ça dans 2 ouvrages d'historiens français), mais je pense qu'il faudrait encore y travailler et en parler car cela est d'un intérêt historuqe et intellectuel indéniable

donc au sens stricte ce n'est pas l'émir qui a ouvert la porte d'une existence juridique et d'une souveraineté algérienne en premier
par contre dans mon propos je parlais bien de la période coloniale, au moment où les affrontements se faisaient

3) au niveau de l'étude des faits historiques, la réelle prise de conscience (de masse, de la nécessaire lutte plus globale) ne s'est faite qu'au moment les plus dures de la famine de 1864-66 et surtout ces prolongements; la prise de conscience au niveau des resistances algériennes du poids du colonialisme
d'où l'immense mouvement de résistance débuté en 1870 jusqu'en 1872 (les derniers soubressauts)
la dimension réellement national de la résistance algérienne est née non pas sous l'émir, mais bien dans cette période, 1870-72, avec une participation étendue, un relais politique énorme, des chefs spirituels et politiques, des populations en révolte, à travers l'est, l'ouest, le sud du pays
200 000 hommes (au même moment, sur une même période) contre les colonisateurs se soulèvent et combattent


la dimension nationaliste a pris un poids à partir des années 1870'
elle a remplacé la dimension traditionnaliste et clanique de 1830, dont on peut parler pour l'émir comme pour le bey de Constantine
d'où le fait que ni le Bey, ni l'émir n'ont pu transformer la résistance en combat à visée politique global pour tout le pays (pour ne pas utiliser le terme anachronique de nationaliste pour le début de la colonisation)

4) l'élément le plus intéressant au début de la colonisation, dans ce débat sur "résistance traditionnelle et clanique" ou résistance à visée globale" (vers une forme de nationalisme) est clairement pour moi:
l'appel de Tamentfoust en juillet 1830. c'est un appel qui en lui-même pose les jalons de la résistance au sens général (sauver sa vie, sa famille, ses biens, sa terre) et au sens territorial politique (le pays en danger doit être sauvegarder et préserver entre nos mains)

4) le traité de la Tafna en ce sens est strictement un traité qui relève de ce dont je parlais plus haut, un combat tradionnel,
les chefs de tribu, et là dessus, l'émir n'a pas été le seul
n'ont pas compris le colonisalisme comme nous le pouvons nous aujourd'hui, ou comme le firent plus tard nos anciens
le combat tradionnel pour certains chefs de tribus, visait à lutter pour des prérogatives, le maximum étant la préservation politique sur leur territoire donc la défaite des colonisateurs, mais au minimum ils étaient dans un esprit de possible acceptation d'une forme de gouvernance comme à l'époque ottomane avec un pouvoir central très absent à qui il faut payer tribu et un pouvoir local entre leurs mains

encore une fois très très peu ont réalisé que c'était une erreur énorme,
Cheikh el Mokrani lui-même ne l'a compris qu'au cours de la famine, et suite aux restrictions qu'il avait subi, alors qu'il avait aidé les Français contre d'autres tribus algériennes (chose souvent tue, mais réelle) les hcefs traditionnalistes sont de leur époque

qui aurait pu savoir ce qu'était le colonisalisme et son essence
Mokrani l'a compris au bout du compte et a lutter en ce sens, c'est pour cela que le mouvement auquel il a participé et lourdement contribué de 1870-72 est tout à fait crucial
c'est l'émergence d'une dimension conscientisée de la lutte au niveau "national", tout le pays en cause, soit on s'en sort ensemble soit on perd tous
c'est cela la dimension exceptionnelle de 1870-72

il n'a fallu qu'une génération pour le comprndre (1830-1870) mais à chaque génération son combat, ses capacités de compréhension, de réactions et d'anticipation

5) quant à prononcer un réquisitoire contre les uns ou les autres, non, je n'en suis pas, il faut étudier les éléments à fond, les contextes et les possibilités pour pouvoir en déduire des conclusions radicales; il est si facile de juger un événement ou un personnage historique.

le passé ne se réécrit pas
dire les erreurs commises, oui, en faire un tribunal, non
_________________________________________________________________________________________

encore merci Saf, j'espère avoir un peu mieux exprimer mon propos, je ne sais pas ?
(je ne suis pas en contradiction avec ce que tu dis, c'est juste des précisions)

PS, je rajoute ce point:
je peux prendre plusieurs exemples, que ce soit l'émir Abdel Kader, que ce soit Cheikh el Mokrani ou d'autres
que ce soit au moment de 1945 ou après ou encore pendant la Révolution, les hommes n'ont pas tous eu au même moment les mêmes aspirations ou la même compréhension ou la même analyse

je prends l'exemple de Ferhat Abbas, reprends ces dits de la période après 1945
pour lui pas de nation algérienne, il va jusqu'à nier l'identité
mais plus tard il a compris, il a été formaté dans l'école républicaine de Jules Ferry (l'un des plus colonialiste et impérialiste et des plus raciste des ministres, cité paradoxalement en exemple aujourd'hui),
et bien Ferhat Abbas était un homme qui n'avait pas les éléments au cours de son instruction (= programme de déculturation organisé par le colonialisme), quand il les a eu il compris et a fait son choix
il a été très virulent contre le colonialisme pour finir par être président du GPRA

l'histoire n'est pas une ligne droite ... mais ça tous nous le savons
c'était juste pour dire qu'un homme à travers ses choix, répond à un moment, et à une façon de voir
tous ne sont pas capables de voir qu'ils ont dans l'erreur ou dans la bonne direction
tous n'ont pas les clés de la compréhension de ce qui se passe
il y a les tetatives de déculturation
(et aujourd'hui on voit bien tout le poids de la propagande et du mensonge à travers l'actulités 2013)

les choix se retrouvent ensuite dans les livres d'histoire (si ils sont marquants pour l'humanité) mais les livres nous retranscrivent-ils réellement tout ?
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saf
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par saf »

Ton exposé est bien argumenté et d'une construction intellectuelle d'un bon niveau. Cependant je ne partage pas certains points:

1.le fait que tu dises que l'Emir considérait la France comme une tribu rivale. Comment n'aurait il pas pris conscience alors qu'elle ne partage ni langue, ni la religion. Et ceci est en contradiction avec la proclamation du djihad.
2.Pendant les années 30 du XIX°, c'est un phénomène de conquête et pas encore coloniale. Donc l'Emir n'avait pas à comprendre un phénomène qui n'existait pas encore, mais à comprendre tout simplement un phénomène classique, à la base de toute stratégie militaire depuis la nuit des temps: la conquête et l'occupation du terrain.
3.considérer qu'il n'avait pas pris conscience de la différence fondamentale entre la présence turque et la conquête française n'est pas possible pour une raison dont tout le monde avait conscience en ce temps et encore plus pour un lettré et homme de religion: c'est que les ottomans agissait symboliquement pour le compte du khalif et ceci est une donnée fondamentale dans la conception idéologique du moment. Je doute fort qu'un homme aussi lettré que l'Emir n'est pu prendre conscience de la nature différente de la conquête française.

Du fait de ces éléments pour moi la traité de la Tafna est un acte de trahison.

3)Cependant je partage avec toi que l'idée nationale a sa source dans le combat de Mokrani et cheikh el Hadade (rabi yadhkerhoum belkhir).

numidia
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par numidia »

merci pour ta réponse Saf.
concernant tes 3 points:

1) c'est possible en effet.
les ottomans non plus ne partageait pas la même langue par exemple.
le djihad est compréhensible même dans un contexte comme celui-ci puisque justement il s'agit de "auto-défense" et non de conflit d'expansion
ou de conquête de l'émir sur les autres
là il sa'gissait d'une sauvegarde et d'un combat pour sa propre vie que chacun devait mener
mais bon je ne suis pas théologienne.

2) la conquête a pris un caractère colonial très tôt,à en croire les décisions même de Bugeaud et la mise en place du programme de colonisation suite aux premières spoliations
dès les années 1830' les militaires français en Algérie l'envisagent et la mise ne place se fait sous leur commandement et ce avec l'appui des parlementaires de Paris qu'on nomme "parlementaires colonistes" dans les livres d'histoire
il s'agit de retrouver un schéma d'éviction/extermination des populations indigènes pour y installer une population française
comme aux Amériques (c'est le sujet de plusieurs débats au parlement dès le début de la colonisation)

pour les militaires, notamment Bugeaud (années 40' notamment), son intérêt personnel était claire = l'enrichissement personnel
pour lui, les colonisations à installer d'urgence était les militaires, leurs familles, puis d'autres après
il voyait tout l'intérêt en agriculture notamment, et il a arlé de combattre l'émir Abdel Kader pour s'accaparer des terres immenses pour la culture
tu vois que la colonisation est envisagé dès les premiers années (fin des années 1830')
et en tout cas pendant la résistance de l'émir, de façon nette (cf les archives)


3) je respect ton point de vue, n°3
là tu rejoins mon propos sur son action qui visait à déterminer rapidement une structure "étatique" avec justice, défense-armée, monnaie, etc...
pour ma part, je ne fais que reprendre des hypothèses
cependant la vérité seul Dieu la connait ... et l'émir.
qu'avait-il réellement compris au fond ?
cependant ces actes prouvent qu'il avait de nombreux éléments de compréhensions en main
mais sa décision de signer plusieurs traités, sa décision de partir du territoire algérien, sa décision de ne plus intervenir
prouvent que la question n'est pas totalement tranchée.

quelqu'un qui avait compris toute la nature, l'essence du colonisalisme n'aurait que 2 solutions:
le combat jusqu'à la victoire ou jusqu'à la mort.
il n'y a pas de négociation avec le colonisateur possible
le colonisalisme est un crime, peut-on croire en la parole d'un criminel ? d'un génocidaire ?

4) ton point 4 qui rejoint mon propos est fondamental à mon sens pour comprendre l'évolution de la résistance et la persistence d'une conscience souveraine et indéniable
je pense que passer en une génération (1830-1870) à ce stade est très important cela peut paraitre beaucoup, en fait c'est très très court à l'échelle de l'histoire

cela dénote du potentiel énorme qui a servit à la lutte anti-coloniale
cela explique les fondements du peuple algérien et son attachement profond à la souveraineté et à sa terre
cela explique les combats ultérieurs et surtout les bases de 54, puis l'importance de la lutte autant lmilitaire que politique
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saf
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par saf »

citation de Numidia:
la conquête a pris un caractère colonial très tôt,à en croire les décisions même de Bugeaud et la mise en place du programme de colonisation suite aux premières spoliations
dès les années 1830' les militaires français en Algérie l'envisagent et la mise ne place se fait sous leur commandement et ce avec l'appui des parlementaires de Paris qu'on nomme "parlementaires colonistes" dans les livres d'histoire
il s'agit de retrouver un schéma d'éviction/extermination des populations indigènes pour y installer une population française
comme aux Amériques (c'est le sujet de plusieurs débats au parlement dès le début de la colonisation)

pour les militaires, notamment Bugeaud (années 40' notamment), son intérêt personnel était claire = l'enrichissement personnel
pour lui, les colonisations à installer d'urgence était les militaires, leurs familles, puis d'autres après
il voyait tout l'intérêt en agriculture notamment, et il a arlé de combattre l'émir Abdel Kader pour s'accaparer des terres immenses pour la culture
tu vois que la colonisation est envisagé dès les premiers années (fin des années 1830')
et en tout cas pendant la résistance de l'émir, de façon nette
J’apprécie infiniment ta façon de penser et ta réponse argumenté prouve ton sérieux, je tien à te dire qu'il m'est agréable de discuter avec toi.
Cependant, il faut à mon avis prendre en compte un fait historique sur le quel les historiens s'accorde (cf Mahfoud Keddache, Ageron, Olivier Grand Maison et même Stora), la prise de Constantine( Novembre 1837)conséquence directe du traité de la Tafna, constitue un avant et un après dans le processus de conquête français . Jusqu'à cette date la conquête française s'apparente à une conquête classique de type napoléonien du début XIX° en Europe. Après la prise de Constantine fin 37, la nature de la conquête change avec l'ajout d'un objectif colonial qui n'était pas présent avant cette date (Novembre 37), tu le confirme avec l'arrivée de Bugeaud après cette date 19 février 1841.

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Re: l'Emir Abdelkader

Message par numidia »

je rejoins ton propos
j'irai même plus loin
les textes officiels de 1830 prouvent que entre les militaires du corps expéditionnaire et les politiques à Paris (alors occupé à se faire des "coups d'Etat") , l'analyse de la situation était diamétralement opposé
certains ont parlé du "boulet" en parlant de l'expédition sur Alger, certains allant jusqu'à exprimer le manque d'intérêt total que cela représente.
le pouvoir politique renversé à Paris en juillet, était loin d'imaginer semble-t-il toutes les conséquences et exigences d'une telle expédition,
peur du coup financier, peur du pouvoir militaire grandissant de certains groupes politiques influents
cepoendant, les militaires français avce certains politiques (pour faire vite je dirai appartenant aux colonistes) avaient pris dès le départ les choses en main, et je pense même que ce sont eux qui ont organisé les expéditions de reconnaissance bien avant 1830, manipulant complétement les hommes au pouvoir

puis la phase une: prise d'Alger, prise du trésor d'Alger, controle d'un port stratégique du sud, possibilité d'étendre le controle au reste du littoral et installation sur une partie du littoral, ceci pris quelques mois, une poignée d'années
voilà que l'intérieur attise les convoitises, d'où les expéditions dont celles sur Constantine dont tu parles

en effet, c'est bien autour de ces périodes décisives, où l'appareil expéditionnaire (je pense vraiment que eux étaient des colonistes, des officiers voulant occupé s'enrtichir et coloniser,) commence à avancer à l'intérieur des terres
l'idée se développe du potentiel formidable que peuvent offrir les terres algériennes
aussi comme je te l'ai dit plus tôt, c'est la fin des années 1830' où se développe et surtout s'affirment ouvertement la colonisation et sa mise en place.
d'où en effet, l'administration coloniale qui se met en place sous Bugeaud, avec une politique de colonisation immédiate.

mais là, cela exige d'aller aux détails et de citer des chiffres, des faits, des sources
je n'en ai pas là en ce moment pour étayer mon propos, désolée.

je te remercie pour tes propos à mon encontre, je suis désolée, je vais au plus vite, peut être trop, ce sont des choses et événements qui exigent du temps, de la recherche et de longues réflexions
désolée aussi pour les fautes, sur l'ordi j'en fais des mille et des cents
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anzar
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par anzar »

Je vais peut être avoir l'air de quelqu'un qui jette un pavé dans la marre et certainement en choquer beaucoup, mais Abd El Kader était et à agit en tant que chef féodale, dont l'autorité a été remise en cause, il a réagit et s'est retrouvé confronté à une opposition des autres confédérations de tribus car leurs chefs respectifs voyaient les choses avec leur œil de chef de tribus ..... ils voyaient certainement Abd El Kader avec ses prétentions territoriales, venir bousculer l'ordre établis.... comme Messali, Abd El Kader a confondu son destin et celui de l'Algérie....
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El-Harrachi
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par El-Harrachi »

numidia a écrit :... je pense qu etu oublies que l'Emir était bien le seul à avoir compris l'importance d'inscrire sa démarche politique dans un cadre juridique et institutionnel, ce qui révèle une maturité et une clairvoyance très très rare à l'époque au Maghreb
instaurer un Etat avec des institutions régaliennes: la monnaie, la justice, la guerre, etc... c'est un coup de maître !
politiquement ça vaut son pesant d'or dans le contexte qui nous occupe.
Je penses que nous n'avons toujours pas accordé nos fréquences sur ce sujet, ce qui fait que nous parlons plus ou moins d'aspects différents de la même question.

Chouf, dans l'absolu, l'Emir Abdelkader fut un personnage assez exceptionnel et il était effectivement très (peut-être "trop" !) en avance sur son temps, du moins au niveau du Maghreb. En observant sa démarche et en lisant ses propres textes, je dirais qu'il aurait pu être aisément une sorte de Mohamad-Ali algérien ou maghrébin, et que si les circonstances de son ascension avaient été différentes son projet aurait pu aboutir sur un État moderne et que le cours des événements aurait été tout autre. Mais voilà, comme tu le dis toi-même, le propos de l'Histoire n'est pas de spéculer sur ce qui aurait pu être, mais juste d'observer et d'analyser ce qui fut. Or, qu'en est-il du cas de l'Emir ? Le premier constat est que son effort de résistance militaire (aussi remarquable qu'il a pu être) a fini par échouer, et que -suite à cet échec- son projet politique n'a jamais pu se concrétiser. C'est en partant de ces deux constats que je me pose les questions d'usage : Pourquoi ? Qu'est-ce qui a cloché pour qu'il échoue militairement ? Qu'est-ce qui a fait que son projet ne puisse pas se réaliser ? ... etc.

En lisant tes postes, je vois que tu focalises sur l'ennemi et que tu décrit surtout les facteurs exogènes qui ont conduit à tout cela. Ce que tu dis n'est pas faux en lui-même, mais il se trouve que, pour ma part, je m’intéresse en premier lieu aux facteurs endogènes et à la situation propre à la société algérienne et maghrébine à l'époque afin de mieux cerner le contexte dans lequel ce visionnaire avais pu agir et évoluer et ce qui a conduit à son échec. Or, plus je m'y suis enfoncé dans ce domaine plus j'ai acquis la conviction que le projet et l'action de l'Emir Abdelkader ont été d'abord vaincus par la nature segmentaire et tribale de notre société de l'époque avant d'avoir été écrasé par l'envahisseur français !
Dernière modification par El-Harrachi le 03 juin 2013, 09:52, modifié 2 fois.
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par El-Harrachi »

saf a écrit :... Le traité de la Tafna est une trahison de l'Emir étant donné qu'il reconnait la souveraineté de l'occupant. Ce qu'il a perdu c'est son égaux, ce qui explique sa tendance soufi après sa défaite alors que la majorité des algériens sont malikites.
Là, par-contre, je penses que le jugement est un peu excessif.

En usant des catégories de pensée de l'époque, il faut garder à l'esprit que la Régence avait totalement échoué dans son rôle premier et qui était de défendre le territoire musulman dont elle avait la charge contre toute invasion. Alger est tombée en Juillet 1830, et le Dey capitula en bonne et due forme en léguant la souveraineté de l’État dont il était le chef à son vainqueur français. En un mot, il y avait bien un État souverain avant 1830, mais un État dont le système de défense s'était totalement écroulé face à une invasion en règle, et l'Emir ne va émerger que deux années plus tard (1832), dans un contexte totalement nouveau puisque officiellement il n'existait plus d'autorité étatique musulmane dans le pays nommé Algérie. Va-t-on lui reprocher d'avoir agi avec tant d'énergie à un moment ou si peu de chefs locaux ont bougé au-delà des intérêts de leur clan ou tribu ? Et puis n'est-ce pas le résultat de l'immobilisme et du refus d'évolution qui caractérisa l’État de la régence au cours du dernier siècle ? Mou, je trouve impressionnant que le bled profond ait pu pondre un homme de la carrure de l'Emir Abdelkader dans des conditions pareilles !

Donc, en évoquant les dispositions du Traité de la Tafna ou de tout accord conclu entre lui et les français, il faut garder à l'esprit ce contexte et cette situation nouvelle induite par la disparition pure et simple de l’État qu'incarnait jusque-là la Régence d'Alger. Quant aux territoires qu'il a reconnu aux français, il faut se dire qu'il n'était pas en position de les reprendre, et qu'il avais en besoin de concéder quelque chose si il voulait qu'ils lui foutent la paix au moins un moment, le temps qu'ils mette en place son propre État en projet car -encore une fois- il n'y avais pas que la français à combattre mais aussi -et surtout- tout une société à remodeler et une toute une constellation de tribus à convaincre, à rallier, à soumettre, à mater ... etc.

Dans de telles circonstances, pouvait-il faire autrement pour parvenir à un éventuel résultat ?
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par saf »

citation de El-Harrachi:
Donc, en évoquant les dispositions du Traité de la Tafna ou de tout accord conclu entre lui et les français, il faut garder à l'esprit ce contexte et cette situation nouvelle induite par la disparition pure et simple de l’État qu'incarnait jusque-là la Régence d'Alger. Quant aux territoires qu'il a reconnu aux français, il faut se dire qu'il n'était pas en position de les reprendre, et qu'il avais en besoin de concéder quelque chose si il voulait qu'ils lui foutent la paix au moins un moment, le temps qu'ils mette en place son propre État en projet
La reconnaissance de la souveraineté de la France n'est pas une contrainte, mais bien une volonté politique, sinon comment expliquer le fait que d'autre chef n'ont jamais reconnu la souveraineté de la FRANCE, même après leur défaite et leur capture (cf la tribut des Hadjoutes). La reconnaissance de la souveraineté aurait pu être reconnu par l'Emir, s'il avait subi une défaite décisive ou la captivité. Ce n'est pas le cas au moment de la signature du traité de la Tafna en 1837, enfin cette trêve a bien plus servi l'armée d'invasion en lui évitant de se battre sur deux fronts,( pour preuve D qu'ils en ont terminé avec l'Est, l'armée française reprend son offensive contre l'Emir), qu' à l'Emir qui aboutit plus à la construction d'un proto-Etat ( capitale itinérante à l'image d'un Charlemagne, sans représentation diplomatique ou contacte régulier avec les grandes puissances du moment: Empire Ottomans en déclin, Russie, Empire d'Autriche, Royaume Unis ), une base féodale qui reste en vigueur incompatible avec la notion d'Etat moderne. Il faut faire la part de ce qui est de la légende et de ce qui se rapporte à l'Histoire.

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Re: l'Emir Abdelkader

Message par El-Harrachi »

Mais aucun autre parmi les résistants de l'époque n'était "chef d’État" SAF, et aucun ne se voyait comme tel, hormis peut-être Hadj-Ahmed Bey. Or, seul un chef d’État conclut des accords et signe des traités, qu'ils soient provisoires (trêve) ou définitifs (paix). Par ailleurs, si tu évoques les Hadjout, tu omets de préciser qu'ils s'étaient soumis à la volonté de l’Émir Abdelkader et qu'ils avaient respecté les engagements pris par lui envers les français en 1837 : ils n'attaquèrent les établissements coloniaux de la Mitidja que lorsque l'Emir à de nouveau déclaré la guerre aux français suite au franchissement des Portes de Fer en 1839, pas avant.

Le pourquoi de cette composition est expliqué par le concerné lui-même dans certains écrits : il dit qu'il n'avait pas les moyens de poursuivre la guerre plus longtemps, qu'il était militairement impossible de bouter les français vers la mer dans l'état actuel des choses, qu'il avait lui-même besoin d'un répit pour assoir son autorité sur les territoire dont il venait d'arracher la reconnaissance de sa souveraineté par l'ennemi ... etc. Il se devait donc de composer car, et là on revient vers le point que j'évoquais plus haut avec NUMIDIA : la nature segmentaire de la société et la structure archaïque de sa composition rendaient quasiment impossible pour un chef de maintenir une unité permanente sous son autorité (chose indispensable vu les circonstances !) et il lui fallait du temps pour changer cela, c'est-à-dire pour consolider la situation interne de son État et s'assurer des ressources de toutes natures qui permettront une reprise de la guerre contre l'envahisseur avec quelques chances de réussite. Bref, c'était effectivement un calcul politique de sa part et il y a certainement intégré l'espoir de voir les français éliminer les autres chefs qui se mettent en chemin de sa propre autorité sur le pays (comme Hadj-Ahmed Bey) pendant que lui-même consolidait ses positions et récolterait par la suite le fruit de leur chute. Mais, n'est-ce pas là une preuve supplémentaire que la première cause de le défaite fut l'animosité et le manque de cohésion entre algériens avant que ce soit la supériorité des armées françaises ? Il est donc possible au final de voir dans cette politique de l'émir un mauvais choix stratégique comme tu le suggères, mais de là à l'accuser de traitrise ou de couardise
je trouve que c'est injuste et en tout cas excessif.

Enfin, pour ce qui est de la nature éphémère de l’État qu'il a réussi à mettre en place durant quelques années, il ne faut pas non plus lui faire porter plus qu'il ne peut porter pour son temps : le concept d'état-nation était étranger aux musulmans et aux maghrébins de son époque, et il ne pouvait donc être porteur d'une chose qui n'existait pas encore. Néanmoins, ce fut réellement la première tentative de construction étatique dans le pays après la chute de la Régence, et en cela on peut bel et bien parler d'un porto-État algérien, et même si il ne s'agissait pas d'un État national au sens moderne (aucun État musulman ne l'était à cette date), on peut dire qu'il s'agit d'un état "proto-national" ... ;)
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par numidia »

El-Harrachi a écrit :.........................................................................................
En lisant tes postes, je vois que tu focalise sur l'ennemi et que tu décrit surtout les facteurs exogènes qui ont conduit à cela. Ce que tu dis n'est pas faux en lui-même, mais il se trouve que, pour ma part, je m’intéresse en premier lieu aux facteurs endogènes et à la situation propre à la société algérienne et maghrébine à l'époque afin de mieux cerner le contexte dans lequel ce visionnaire avais pu agir et évoluer. Or, plus je m'y suis enfoncé dans ce domaine plus j'ai acquis la conviction que le projet et l'action de l'Emir Abdelkader ont été d'abord vaincus par la nature segmentaire et tribale de notre société de l'époque avant d'avoir été écrasé par l'envahisseur français !

je ne suis pas allé vite sur cette partie. tu en avais déjà pas mal parlé, et on avait échangé sur le sujet (page précédente), je pensais que c'était plutôt évident qu'on avait une société traditionnelle qui ne pouvait réagir au niveau nécessaire pour empêcher la colonisation en 1830.

après avoir dit cela je pense qu'il n'y a pas qu'une seule cause à la problématique, mais bien plusieurs; comme tu le suggères toi même.


je n'ai pas parlé que des colonisateurs, il me semblait que ce passage était explicite (et assez long):
numidia a écrit : ......................... la dimension réellement national de la résistance algérienne est née non pas sous l'émir, mais bien dans cette période, 1870-72, avec une participation étendue, un relais politique énorme, des chefs spirituels et politiques, des populations en révolte, à travers l'est, l'ouest, le sud du pays
200 000 hommes (au même moment, sur une même période) contre les colonisateurs se soulèvent et combattent
la dimension nationaliste a pris un poids à partir des années 1870'
elle a remplacé la dimension traditionnaliste et clanique de 1830, dont on peut parler pour l'émir comme pour le bey de Constantine
d'où le fait que ni le Bey, ni l'émir n'ont pu transformer la résistance en combat à visée politique global pour tout le pays (pour ne pas utiliser le terme anachronique de nationaliste pour le début de la colonisation)

4) l'élément le plus intéressant au début de la colonisation, dans ce débat sur "résistance traditionnelle et clanique" ou "résistance à visée globale" (vers une forme de nationalisme) est clairement pour moi:
l'appel de Tamentfoust en juillet 1830. c'est un appel qui en lui-même pose les jalons de la résistance au sens général (sauver sa vie, sa famille, ses biens, sa terre) et au sens territorial politique (le pays en danger doit être sauvegarder et préserver entre nos mains)

4) le traité de la Tafna en ce sens est strictement un traité qui relève de ce dont je parlais plus haut, un combat tradionnel,
les chefs de tribu, et là dessus, l'émir n'a pas été le seul
n'ont pas compris le colonisalisme comme nous le pouvons nous aujourd'hui, ou comme le firent plus tard nos anciens
le combat tradionnel pour certains chefs de tribus, visait à lutter pour des prérogatives, le maximum étant la préservation politique sur leur territoire donc la défaite des colonisateurs, mais au minimum ils étaient dans un esprit de possible acceptation d'une forme de gouvernance comme à l'époque ottomane avec un pouvoir central très absent à qui il faut payer tribu et un pouvoir local entre leurs mains

encore une fois très très peu ont réalisé que c'était une erreur énorme,
Cheikh el Mokrani lui-même ne l'a compris qu'au cours de la famine, et suite aux restrictions qu'il avait subi, alors qu'il avait aidé les Français contre d'autres tribus algériennes (chose souvent tue, mais réelle) les hcefs traditionnalistes sont de leur époque

qui aurait pu savoir ce qu'était le colonisalisme et son essence
Mokrani l'a compris au bout du compte et a lutter en ce sens, c'est pour cela que le mouvement auquel il a participé et lourdement contribué de 1870-72 est tout à fait crucial
c'est l'émergence d'une dimension conscientisée de la lutte au niveau "national", tout le pays en cause, soit on s'en sort ensemble soit on perd tous
c'est cela la dimension exceptionnelle de 1870-72 .............................


mais peut être veux-tu insister sur la période précédent 1830 et le contexte avant la colonisation
ce que je n'ai pas abordé ici, puisque ce n'est pas le bon topic
en effet, il faut bien entendu voir 1830 dans une continuité, notamment l'attitude des ottomans, le Dey d'Alger n'avait que peu de pouvoir sur les Beys, selon les périodes il était même quasi inexistant, occupé à se prendre le korsi (si tu permets cette réflexion)

pour la partie juste avant :arrow: viewtopic.php?f=15&t=265#.UauODZzx3_c

on avait un topic "Régence d'Alger", il faudrait reprendre les articles et contributions de l'ancien forum (version1) et/ou ouvrir un nouveau
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PS: juste un petit mot sur le terme "féodal" ou "féodalité" qui ne correspond à rien au Maghreb, absolument pas adapté au contexte.
féodal = seigneur qui possède en exclusivité des terres et des esclaves (les serfs) qui a droit de vie et de mort, qui est le seul à pouvoir décider en Justice, et dans tous les domaines. les esclaves sont totalement soumis à sa volonté, ils doivent tribu + service armé + nourriture. les esclaves ne peuvent prendre aucune décision même privé sans en passer par le seigneur.
je n'ai jamais entendu parlé d'un tel concept au Maghreb, à ma connaissance.
d'ailleurs il n'est pas utilisé par les historiens spécialisés sur l'Algérie, on parle surtout de système traditionnel ou système tribal.
pardon pour cet aparté, mais le terme pour l'Algérie me dérange.
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Palmier Dattier
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par Palmier Dattier »

1- L'Emir Abdelkader n’était pas un personnage comme les autres et dépassait de loin tous ses contemporains y compris Ahmed Bey le turc qui lui était déjà porté par une dynamique culturelle ottomane (au sens de la gestion de l'Etat), c'est a dire habituée a la confrontation et a la compétition avec les autres grandes puissances européennes de l'époque. De ce point de vue sa résistance admirable de Constantine est elle a percevoir comme une défense a caractère "national" ou s'inscrit elle plutôt dans cette longue lutte entre la Sublime Porte et la Chrétienté ?
2- La conquête de l'Algérie (ou ce qui allait devenir l'Algérie plus précisément) est d'abord une conquête strictement militaire et non pas coloniale. Elle répond EN PREMIER LIEU a un problème de statut de la France dans le concert des Nations. Apres les défaites napoléoniennes, s'ouvre un cycle historique ou la France est le pays défait de l'Europe et ou Paris cherche à peser face a la Prusse d'un cote et le Royaume Uni de l'autre cote par des guerres de conquête a même de la rétablir dans son rang européen. Le mouvement colonial est venu 30 ans après le débarquement de Sidi Fredj. La conquête ne vise pas dans un premier temps les terres mais se fixe pour objectifs principaux de contrôler villes, ports et axes routiers, en somme des objectifs classiques militaires. Quelques terres sont effectivement confisquées mais il s'agissait essentiellement des terres relevant du domaine prive des turcs et qui paient ainsi le tribut de la défaite ou de terres confisquées pour punir telle ou telle tribu considérée par les militaires comme trop engagée aux cotes de l'Emir.
3- Bien qu'il ne s'agisse pas encore de conquête coloniale (au sens spoliation des terres), il se trouve suffisamment de forces dans la société algérienne en formation pour organiser une résistance d'un nouveau genre. En effet ce qui est remarquable, c'est que l'Emir Abdelkader ait pu fédérer d'aussi nombreuses tribus et cela de manière quasi permanente en levant impôts, disant la Justice, frappant monnaie, entretenant troupes et matériels. Cette mobilisation permanente et durable (sur prés de 20 ans) est le fait remarquable de l'époque et cela par plusieurs aspects. En effet les terres sont pour l'essentiel indivises (appartenant a la tribu sauf en petite Kabylie ou les lopins de terres sont prives et appartiennent a des familles) et dans ce contexte, il est d'autant plus difficile de mobiliser les aarach qu'il n'y a pas de propriété privée à défendre. La révolte d'El Mokrani, plusieurs décennies plus tard, et surtout sa résistance farouche contre l'envahisseur est largement sous tendue par la défense des terres privées qui appartiennent toutes a des familles qui se mobilisent d'autant plus fortement que c'est la leur seul moyen de subsistance. Cela n'enlève absolument rien au mouvement remarquable de résistance d'El Mokrani mais cela souligne encore plus amplement le tour de force accompli alors par l'Emir Abdelkader qui par la persuasion, les armes, l'idéologie, son sens inné de l'organisation étatique et de l'art militaire et politique s'impose aux autres tribus, en dépassant très largement le cadre tribal, sa région natale, ralliant tribus du centre jusqu'a Médéa, de la Kabylie, du sud , mobilisant l'ensemble des ressources en hommes et animaux du " pays" profond pour faire face a une formidable machine de guerre alors que les terres indivises des tribus ne sont pas convoites par les militaires ! Et c'est dans la guerre que nait non pas un proto Etat, mais l'Etat algérien, unique dans son fonctionnement avec une capitale itinérante (la Smala de l'Emir Abdelkader) qui devient le véritable centre nerveux du pays et autour duquel tout gravite et s'organise. Ce sont les armes et la résistance à l'envahisseur chrétien qui forgent, dessinent l'Etat Nation pour « la défense de la religion et le bien de tous. »
4- La France, même défaite par la Prusse, est considérée comme l'une des meilleures armées du monde. La supériorité technologique et scientifique des pays européens et de la France sont indéniables et l'Emir Abdelkader en est parfaitement conscient lui qui s'intéressait tant aux progrès technologiques. Bien qu'avec une exceptionnelle lucidité, l'Emir Abdelkader reconnaissait la supériorité technologique et scientifique des sociétés européennes sur la société algérienne et les sociétés musulmanes de manière générale, il leur déniait toute supériorité métaphysique ou philosophique. Son effort d'exégèse du message coranique, ne peut se comprendre en dehors de sa conviction profondément ancrée que les valeurs portées par l'Islam étaient bien plus humaines, plus profondes, en somme bien plus universelles que celles portées alors par les sociétés chrétiennes. Son traitement remarquable des prisonniers de guerre en est une des nombreuses applications.
5- La durabilité de la résistance, l'entretien de troupes en permanence, ses différentes correspondances avec les puissances européennes adversaires de la France (en particulier le consul britannique) ou le royaume du Maroc, son droit a commercer librement a travers le Port d'Oran y compris poudres et armes gagne de haute lutte dans le traite de la Tafna (nous reviendrons au point suivant sur la signification réelle de ce traité), son souci d'allégeance des tribus ayant fait des avances aux français, sa volonté de se faire reconnaitre dans le traite de la Tafna comme l'interlocuteur unique des français; tout cela dénote d'une démarche novatrice et pleine de modernité. En réalité l'Emir Abdelkader en imposant la résistance a l'envahisseur au pays le fait entrer de plein pied dans le dépassement de soi et la prise de conscience de ce qu'il est, une Nation en formation, unie par un même destin et subissant un même sort.
6- Le traité de la Tafna est loin d'être un acte de trahison. Il est dans l'esprit de l'Emir Abdelkader, une pause afin d'organiser le pays sur des bases supérieures pour mieux faire face a la conquête militaire française. C'est durant cette période que l'Emir se lance d'ailleurs dans la construction de Tagdempt, qu'il veut capitale de son nouvel Etat, preuve s'il en était que l'Emir portait en lui un projet d'Etat Nation, qu'il na pas pu matérialiser en raison de la guerre de conquête qui lui était imposée. Aurait-on l'idée d'accuser, avec le recul historique, Lénine de traitre pour avoir signer la Paix de Brest Litovsk avec les allemands alors que c'est cette paix sur son front Est qui lui permet de consolider la révolution bolchevique naissante? Aurait on l’idée de reproche au GPRA une quelconque traitrise parce qu’en signant les accords d’Evian, les négociateurs algériens laissent la base de Mers El Kebir sous souveraineté française ? 7 ans plus tard les français l’évacuaient ! Aurait on l’idée d’accuser de traitre Krim Belkacem pour avoir accepter l’exploitation par la France coloniale par "un organisme saharien" les huiles algériennes découvertes à Hassi Messaoud ? Mais il est vrai que l’Histoire donne raison aux vainqueurs !
Pourquoi voudrait on reprocher a l'Emir, de chercher un répit dans l'espoir de s'organiser mieux, plus fortement et sinon battre l'envahisseur (cela était impossible dans le cadre des rapports de force qui s'exprimaient a l'époque) du moins appeler a l’effort de résistance le plus grand nombre de tribus sur une telle échelle, dans une si grande durée, si fortement que la vie des tribus s’en trouvât bouleversée, que des générations plus tard dans les coins les plus recules d’Algérie l’épopée de l’Emir fut évoquée comme une geste grandiose et que de facto, au regard de la résistance acharnée a l’armée de conquête le projet colonial en serait forcement a plus ou moins long terme frappé d’obsolescence ? N'est ce pas la, l'essence meme de ce que l'on appelle dans la polémologie moderne, une résistance asymétrique conçue dans la durée dépassant une génération ?
7- L’Emir Abdelkader mesurait la présence de la France en Algérie a l’aune du temps que « met une hirondelle à toucher au ras des flots, avec son aile l’écume des vagues ». C’est le combat inégal dans l’esprit de l’Emir Abdelkader de l’instant politique contre l’éternité dans la certitude en la foi de l'Islam ! Ceux qui voient en l’Emir Abdelkader un homme politique « contemporain » se trompent lourdement. Il est un mystique d’un nouveau genre, préoccupé du dialogue avec Dieu par l’élévation de l’âme et curieux de sciences, de technologie et profondément a l’écoute des bouleversements de son temps (voir ses encouragements visionnaires au percement du canal de Suez).L’Emir est un être exceptionnel. Le plus ironique dans les commentaires de Saf et de Numidia (et je le dis sans malice et avec beaucoup de fraternite!!!) c’est qu’ils sont marques du sceau….de la révolution française dans son rapport a l’Etat et a la Nation. C’est d’ailleurs un reproche que je fais plus globalement au….FLN ! L’esprit jacobin ne convient pas au caractère algérien. Nous devrions, bien au contraire, nous inspirer des faits et gestes de l’Emir Abdelkader pour trouver le chemin difficile mais nécessaire de la construction d’un Etat Nation qui nous ressemble et que le Grand Emir a eu le mérite d'esquisser et que plus d’un siècle plus tard nous n’arrivons toujours pas a préciser sinon dans une vulgaire imitation d'un modèle français avec tous ses défauts mais sans aucune de ses qualités !.

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Re: l'Emir Abdelkader

Message par numidia »

cher ami, je ne pense pas avoir l'esprit jacobin, mais peut être est-ce le cas ;)
pour moi la Révolution française est un ramassis de bourgeois qui ont voulu prendre la place de l'aristocratie
je ne pense pas que cela s'applique à notre cas

quand je parle de problématique globale et de système clanique tribal, ce n'est pas une histoire de favoriser l'un par rapport à l'autre
mais plutôt il s'agit de voir quelle réponse apporter à la colonisation
il me semble que une réponse locale (ce qui fut le cas au début) n'a pas permis de préserver les terres algériennes de la colonisation
c'est pour cela que les combats issus d'une synergie plus générale et étendue à tout le territoire comme en 1871-72, préparé des mois à l'avance, premiers soubressauts 1870, tout ceci fut à mon sens une réponse plus pertinente (pour ne pas dire efficace puisque la répression qui a suivi a été parmi les plus terrible et horrible de la colonisation) Mokrani n'est qu'un parmi les autres, il s'agit d'un mouvement plus général, qui a touché l'ensemble du territoire (presque) je ne recherche pas à y voir un Etat ou une Nation en construction, j'y vois l'émergence d'une conscience de la lutte anti-coloniale comme une nécessité commune et donc le lien inter-tribal s'impose de lui-même, la construction par le bas et non la construction par le haut (comme dans le jacobinisme)

il ne s'agissait pas juste de défendre la problématique des terres indivises, cela va plus loin
d'ailleurs au sujet des terres indivises, elles étaient en ligne de mire dès le départ, les spoliations commençaient dans les années1830' également
ainsi que les terres habous, ce sont les premières terres qui ont été spoliées.

PS je ne suis pas pour l'imitation d'aucun modèle, tu devrais le savoir
j'ai toujours dit qu'aucun modèle importé ne pouvait fonctionner
encore moins un modèle français de bourgeoisie conquérante issue de la franc-maçonnerie (véritable fondateur de la Républqieu française, car ce ne fut pas uen révolution populaire, mais bien un copup d'Etat parisien)
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Re: l'Emir Abdelkader

Message par Palmier Dattier »

@Numidia
La raison de la generalisation des révoltes (des jacqueries plus précisément) a partir de 1870 est a rechercher dans le début de la confiscation des terres au profit des colons qui commencent des lors a débarquer en nombre a partir du declenchement de la Commune de Paris. C'est le moteur essentiel des révoltes.De 1830 a 1870 la confiscation des terres est un fait anecdotique et non significatif.(voir sur ces points les historiens auxquels tu faisais référence dans tes posts précédents).
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