Exclusif : Le camp d’Ebossé hausse le ton
Alors que le parquet de Tizi Ouzou n’a toujours pas donné les résultats de l’enquête sur la mort d’Albert Ebossé, la famille du joueur et ses proches dénoncent le rapport d’autopsie algérien. Ils ont parlé à El Watan Week-end.
-L’attaquant de la JSK, décédé le 23 août dernier à la fin d’un match contre l’USMA, est-il mort des suites d’une blessure causée par un projectile, ou a-t-il été lynché ? Après le nouveau rapport d’autopsie réalisé par un légiste camerounais, à la demande du procureur saisi par la famille, la plus grande confusion entoure les circonstances du décès de l’attaquant. Voici quelques éléments pour y voir plus clair. Aujourd’hui, est-on en mesure de dire de quoi est mort Ebossé ?
Non. Car personne n’est d’accord. A en croire le rapport d’autopsie algérien, le joueur serait décédé des suites d’une hémorragie causée par un objet «lourd et contondant», selon les termes du procureur. Selon le médecin légiste camerounais qui a effectué la seconde autopsie, «tout s’est joué dans les vestiaires». Selon lui, «des hommes ont tenté d’immobiliser le joueur en tenant son bras gauche, alors qu’un autre lui portait des coups – ou le frappait avec un couteau – sur la clavicule. Ne supportant pas la douleur ressentie, le joueur s’agite et se déboîte l’épaule».
La seule façon de calmer Ebossé, «fou de rage», était de lui «asséner un coup de gourdin ou de matraque sur le crâne. C’est le coup mortel qui conduit à la triade : embarrure-congestion du cerveau, fracture des os de la base du crâne et des premières vertèbres cervicales». Mais un technicien de la JSK interrogé par l’AFP raconte : «Il s’est écroulé sous mes yeux, juste à l’entrée du tunnel. Le médecin a tenté de le réanimer, mais n’a pas réussi. J’ai aidé à le placer dans l’ambulance qui se trouvait sur place. Il n’est pas du tout parvenu aux vestiaires.» Si les scénarios les plus improbables peuvent être imaginés, c’est parce que les autorités algériennes gardent le silence. Le parquet, tenu d’informer les parties concernées (famille du joueur, club, fédération) des développements de l’enquête, n’a toujours rien dit.
-La thèse de l’immobilisation et du lynchage développée par le légiste camerounais est-elle crédible ?
Elle est difficilement crédible, car aucune personne, ni aucun témoin présent sur les lieux à ce moment-là n’a évoqué cette thèse. Et cela, même si le légiste camerounais dit avoir «pris toutes les précautions allant jusqu’à l’iconographie en couleur». «Nous savions que les altérations cadavériques jouaient contre nous, mais les radiographies, parlantes, nous ont permis d’arriver à cette conclusion.» Comment une telle agression aurait pu être couverte par les autres joueurs présents sur place ? Sans que la police n’interpelle des suspects ? Par ailleurs, Albert Ebossé étant sorti vivant du terrain, si attaque il y a eu, elle s’est déroulée entre l’extérieur et le tunnel des vestiaires.
Ce «sas» est entouré de murs, et personne ne peut, a priori, y accéder. «Etant donné que le match entre la JSK et l’USMA était le sommet de la deuxième journée, la présence policière était impressionnante, souligne un proche du dossier. Les consignes étaient claires : ‘‘Personne ne doit approcher les officiels du match (arbitres délégués et joueurs)’’. Par conséquent, aucun policier n’aurait permis à quiconque d’entraver cette règle. Du coup, la thèse du lynchage tombe à l’eau.» Comble du comble : la thèse d’un dirigeant de la JSK qui, dans une déclaration à l’AFP, explique que le meilleur buteur du championnat s’est écroulé à l’entrée du tunnel ne tient pas non plus. «Cela laisse sous-entendre qu’il aurait été blessé sur le terrain. Or, sur une vidéo publiée sur le Net, on voit Ebossé entrer dans le tunnel en marchant.»
-Peut-on imaginer que les accusations du camp Ebossé soient uniquement motivées par l’argent ?
Cette thèse prend du crédit de jour en jour. D’autant qu’André Ebossé Bojongo a révélé mi-décembre que la JSK n’avait versé aucun centime des salaires dus à sa famille depuis quatre mois. «Nous avons appris que le club et la Ligue professionnelle algérienne s’engageaient à verser de l’argent. Voilà quatre mois que mon fils est mort et la famille n’a rien reçu.» La Fédération algérienne de football et la Ligue avaient promis de verser 100 000 dollars. Le président de la JSK, Mohand Chérif Hannachi, a évoqué des problèmes de procédures, mais sur la Radio de Tizi Ouzou, il s’est engagé à «tenir ses engagements jusqu’à la fin», et a rappelé que le club avait donné «15 000 euros pour les funérailles».
-Pourquoi tant de contradictions entre les deux autopsies ?
Il est impossible de mentir sur une autopsie. Parce qu’elles ont été faites par deux parties ayant des intérêts différents. Pour le docteur André Moune, qui estime que «la mort de ce joueur étranger devait être conduite au pénal», l’Algérie aurait préféré «étouffer» l’affaire de peur des répercussions. «A la différence de la partie algérienne, notre démarche est scientifique, démonstrative et claire. Elle n’est orientée que vers la recherche de la vérité et son triomphe», explique-t-il. Le ministre des Sports s’est refusé à tout commentaire.
Ils ont dit :
Mohamed Tahmi, ministre des Sports : «Il faut attendre le rapport final de la justice algérienne pour pouvoir s’exprimer clairement sur l’affaire qui a coûté la vie à l’attaquant camerounais de la JS Kabylie, Albert Ebossé. Nous n’avons aucun commentaire à faire sur la mort d’Albert Ebossé. Le dossier est actuellement entre les mains de la justice algérienne. Tout ce qui est rapporté ici et là ne sont finalement que des articles de presse.»
-Le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Louh, a annoncé hier l’ouverture d’une enquête judiciaire sur la mort du joueur de la JSK, le Camerounais Albert Ebossé, sur ordre du ministère public qui a achevé l’enquête préliminaire sur cette affaire. En marge d’une séance plénière à l’APN, le ministre a indiqué en réponse à une question sur le cours de l’affaire du décès du joueur camerounais Ebossé que «l’enquête préliminaire ordonnée par le ministère public a été achevée et maintenant une information judiciaire sera ouverte». Le juge d’instruction «engagera une enquête contre tout individu suspecté dans le crime ou toute autre personne s’étant rendue coupable de manquement dans sa mission». Selon une source proche du dossier citée par l’AFP, «l’enquête ne progresse pas». (APS et AFP)
Ruben Billap. Avocat camerounais : "Nous allons déposer une plainte contre la… JSK"
Suite à la première autopsie effectuée en Algérie, nous avons seulement reçu un document qui faisait office de certificat de décès. Sur ce document, il est mentionné que le joueur Albert Ebossé Bodjongo est décédé de mort irréversible, mais d’une cause indéterminée. On a le sentiment que certains éléments ont été dissimulés, c’est pourquoi nous avons sollicité une seconde autopsie pour connaître les causes réelles de sa mort. Celle-ci a été pratiquée au Cameroun et a révélé que le joueur a été bel et bien assassiné. Après cela, on a sollicité les autorités politiques et sportives du pays. Nous avons voulu coordonner notre action avec des responsables camerounaises afin de faire bouger les autorités et la justice algérienne. Face au silence qui dure depuis trois mois, il fallait donc alerter les médias. On va attendre un peu. Mais s’il n’y pas de réaction d’Alger, nous allons déposer une plainte au parquet de Tizi Ouzou et une autre plainte auprès de la FIFA contre laJSK, qui était son club employeur.
André Moune. Médecin légiste camerounais : "Le rapport d’autopsie algérien a été signé par des résidents !"
Cette affaire pourrait causer, en plus des poursuites au pénal, des problèmes diplomatiques immenses avec l’internationalisation du football. Je pense que c’est la raison pour laquelle l’Algérie a préféré passer cette affaire sous silence. Conscients des enjeux liés à cette affaire, nous avons fait en sorte de nous rapprocher le plus de la vérité, avec des preuves à l’appui. La représentation diplomatique algérienne a reçu mon rapport il y a trois mois. Alors pourquoi cette absence de réaction ? Mes résultats démentent complètement la thèse de la mort naturelle définitive, irréversible et irrémédiable établie par le légiste algérien dont les résultats de son rapport nous étaient parvenus que récemment ! De plus, le rapport d’autopsie algérien n’a pas été signé par un patron de la spécialité, mais plutôt par un collectif de résidents sans qu’aucun nom n’apparaisse ! Aucune juridiction sérieuse ne peut le prendre en compte.
Bojongo Ebossé. Père d’Albert Ebossé : "Les autorités algériennes ont voulu maquiller le meurtre de mon fils"
Ne sachant pas la vérité sur les circonstances de sa mort, nous n’avons pas pu faire notre deuil. Le 26 août dernier, le corps de mon fils a été rapatrié au Cameroun. Sur lui, on voyait clairement que du sang était aussi sorti de ses oreilles. Puisqu’aucun rapport d’autopsie n’a été envoyé, j’ai contacté le procureur général qui a ordonné une autopsie. Par la suite, nous avons su que l’autopsie algérienne concluait à un décès des suites d’une blessure causée par un projectile. Mais dites-moi, un projectile peut-il casser une épaule ? J’en doute. C’est à la sortie du rapport établi par le docteur André Moune que mes doutes se sont confirmés. Il s’agit d’un meurtre orchestré… Un assassinat ! Les autorités algériennes ont voulu maquiller le meurtre de mon fils. Aussi douloureuse qu’elle soit, cette révélation m’a curieusement libéré d’un poids énorme, car la vérité va bientôt être dévoilée. Aujourd’hui, je compte déposer une plainte contre X, car je souhaite qu’un tel drame ne se reproduise plus jamais.
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