lundi 7 mai 2012
Achats de la Marine Algérienne : Frénésie boulimique ou vraie stratégie ?
Corvette Type 056
Avalanche d’annonces sur les achats de la Marine Algérienne. Dernière en date, un article de Jane’s Defense, célèbre hebdomadaire spécialisé Britannique, qui titre sur la signature par les Forces Navales Algériennes, d’un contrat pour l’acquisition de trois corvettes lourdes Chinoises, probablement de Type 056. Cette annonce vient juste après la confirmation par le site russe VPK, de l’acquisition de quatre corvettes Russes Tigr et les bruits insistants sur la commande d’au moins un OPV (patrouilleur lourd océanique) aux chantiers espagnols de Navantia et d’autres sous-marins russes, probablement quatre unités de classe Lada Amur.
Ajouter à cela la commande entérinée de quatre frégates Allemandes Meko A200 (dont deux à construire en Algérie), la commande suivie de la découpe de la première tôle d’un des deux Portes hélicoptères (LPD El Djazair) et la commande de navires dragueurs de mines, Le tout donnant aux Forces Navales Algériennes l’image d’un ogre boulimique d’achats en tous genres et de toute provenance.
Mieux, cette vague de modernisation a commencé il y a quelques années avec la modernisation des sous-marins Kilo 877EKM et des corvettes et frégates Koni et Nanuchka des QBJ et de l’arrivée de deux submersibles Kilo 636. Les Garde Côtes ne sont pas en reste et ont vu leurs effectifs et leur matériel augmenter significativement avec l’arrivée des patrouilleurs Français Ocea, des embarcations de sauvetage rapide norvégiennes et des impressionnants remorqueurs de haute mer de classe Abeille international.
Trois questions sautent aux yeux : Comment l’armée Algérienne d’habitude si sobre dans le choix de la provenance de ses équipements a eu un éventail de commandes aussi large (France, Espagne, Russie, Italie, Chine, Norvège …) ?
Quel est le but de ces achats si nombreux et si ambitieux ?
Meko A200
Quelle forme prendra un tel déploiement de forces ?
La réponse à la première question est très simple, contrairement aux autres forces au sein de l’ANP, la Marine a toujours opté pour la diversification. Les Forces Navales ont eu des bâtiments Chinois, Russe, Polonais, Britanniques et d’autres provenances sans qu’il n’y ait jamais eu le moindre problème d’approvisionnement de pièces de rechanges ou de formation. Mieux encore, au plus fort du rapprochement avec la Russie, l’Algérie décrochait un gros programme de transfert de technologies avec la Grande Bretagne qui a abouti à la construction de deux classes de navires de patrouille, Les Kebir et les Djebel Chenoua et au développement d’un projet de corvette de 60m.
La réponse à la seconde question est complexe et inconnue mais certains indices nous permettent d’émettre des hypothèses raisonnables, voir probables.
1- Des achats politiques : Ces achats entérinent les bonnes relations de l’Algérie avec des pays/gouvernements comme l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie out en confortant les relations traditionnelles avec la Chine ou la Russie. Plus que cela, l’investissement dans des LPD et des OPV ou des remorqueurs de haute mer, prouve que l’Algérie souhaite devenir le principal acteur en méditerranée Occidentale et se doter de la capacité à la fois de sécuriser les flux commerciaux dans la sous-région mais aussi participer aux efforts de paix de l’ONU sur n’importe quel point du globe. En somme l’Algérie rejoindra, ces acquisitions achevées, le club fermé des puissances maritimes.
2- La nécessaire modernisation de la Marine : Jusqu’à la fin des années 2000 ce corps de l’ANP était le parent pauvre de la réforme, ces achats vont permettre à la fois de moderniser et de changer la vocation de la Marine en étendant ses zones d’interventions.
3- Assurer la sécurité du pays : En repoussant la première zone de confrontation avec une puissance étrangère en haute mer, loin du territoire national et en garantissant la protection des échanges commerciaux de l’Algérie.
4- Le transfert de technologies : Il s’avère que l’Algérie bénéficiera du transfert de hautes technologies dans la construction navales et d’un plan de charges conséquent pour les entreprises activant dans le secteur. Dans les cinq années avenir les chantiers navals d’Oran (et peut-être de Jijel) verront sortir un Porte-Hélicoptères, deux Frégates modernes et plusieurs corvettes et patrouilleurs indigènes, ce programme permettra à l’horizon 2030 d’établir une véritable industrie navale de niveau international.
Corvette Tigr
Reste à deviner la doctrine d’emploi de ces bâtiments qui se chevauchent parfois et qui ne correspondent pas toujours au profil classique d’un pays comme l’Algérie (Modeste façade maritime, non accès aux océans ..). Pour cela, il faut remonter aux projets des années 80 et faire quelques constats quant au nombre et à la nature des équipements acquis ou en cours d’acquisition.
Il n’est un secret pour personne de dire que pendant les années 80 et avant la crise économique et politique qui a frappé le pays, l’Algérie avait l’ambition de se doter d’une marine forte et même s’acheter un porte-avion de classe Garibaldi à l’Italie. Mieux, afin d’assurer un verrouillage de la méditerranée occidentale, l’Algérie avait repris l’idée de la France coloniale qui avait installé des bases de grandes envergures à Mers el Kebir et Bizerte en Tunisie, pour contrôler les détroits de Gibraltar et de Messine. L’idée était d’établir une grande base navale, jumelle de Mers el Kebir, dans l’extrême Est Algérien. La région d’El Kala était toute désignée à cette époque pour abriter cette structure.
Il est plus que logique de penser qu’aujourd’hui, les Forces Navales Algériennes comptent non seulement reprendre l’idée de construire une base à l’extrême Est du pays, mais aussi de créer deux groupes de combat navals intégrés et complètements indépendants, commandés chacun par un amiral (ou équivalent). Les achats par paires des navires et équipements confortent cette idée de créer deux ensembles similaires rattachés chacun à sa base principale (Mers el Kebir et à la Base de l’Est).
LPD El Djazair
On peut raisonnablement penser que les Garde Côtes hériterons de l’ancien découpage en trois façades maritimes (Est, centre, Ouest) et gagnerons en puissance en intégrant les corvettes chinoises de classe 056 et des patrouilleurs lourds de fabrication indigène. Un peu comme l’US Coast Guards, le pendant Algérien se transformera de police des mers en une force de protection militaire de côtes Algériennes. Bien équipés et répartis en zones restreintes les Gardes Côtes auront une vocation de marine frontale en cas de conflit.
Exit donc le découpage en façades maritimes des deux groupes de combats qui n’auront plus de restrictions géographiques et techniques à leur déploiement, mais avec la vocation de surveiller le triangle : Gibraltar, Messine, Marseille. Ils seront donc logiquement chacun d’un LPD qui jouera le rôle de structure de commandement, de surveillance et de lutte anti-aérienne à longue portée et de soutien logistique, de deux frégates lourdes Meko A200 pour la lutte anti-sous-marine et l’action vers la terre, de deux corvettes Tigr pour la lutte anti-surface et la lutte anti-aérienne rapprochée, de deux à quatre sous-marins diésel modernes et d’autres bâtiments logistiques (pétroliers, remorqueurs, navires de débarquements, dragueurs de mines ….). Ces groupes seront renforcés par les Koni et les Nanuchkas modernisés et les corvettes légères de classe Djebel Chenoua.
Il est tout à fait légitime de penser que ce dispositif sera renforcé par des moyens terrestres de lutte navale, tels que les systèmes de missiles terre-mer Bastion (qui seraient en négociation actuellement) et Club N. Ainsi que des moyens aériens, déjà existants, tels que les Su30Mka et les Su24Mk2 et à la probable acquisition de bombardiers à long rayon d’action Su34.
Cette modernisation, si elle s’avère réelle, projettera l’Algérie vers un statut d’acteur maritime mondial et sans aucun doute comme puissance navale incontestée en Afrique. Ecrasant de loin les tentatives de modernisation de la marine Royale Marocaine.