Youcef Khatib restera incontestablement l’une des figures emblématiques de la Révolution et de la Wilaya IV durant la Guerre de libération nationale aux côtés de Rabah Bitat, de Si M’Hamed Bouguerra, de Bounaâma et de bien d’autres.
Ce fils de Chlef, né en novembre 1932 dans une famille très modeste, était bien parti pour réussir sa scolarité malgré le dénuement dans lequel se trouvaient les Algériens soumis à une colonisation française des plus féroces.
Il réussit admirablement ses passages durant toutes les phases de ses études accomplies quasi totalement dans sa ville natale jusqu’ à la seconde partie du baccalauréat qu’il décrochera haut la main au lycée Bugeaud, actuellement Emir-Abdelkader de Bab El Oued. Ce sésame à la main, il s’inscrit à la faculté pour poursuivre des études en médecine dans un contexte marqué par le déclenchement de la guerre de Libération nationale.
L’étudiant qui s’est abreuvé, adolescent, de l’école du patriotisme dans les rangs des scouts musulmans algériens, ne pouvait donc rester insensible aux événements de sa patrie. Il commença par militer dans une cellule d’étudiants.
Sous la houlette du professeur Nekkache, Khatib et ses compagnons allaient recevoir une formation accélérée dans la petite chirurgie et le secourisme. Les responsables du Front de l’époque les préparaient déjà à rejoindre le maquis à la moindre opportunité.
Et cette opportunité se présentera le 19 mai 1956 avec la grève des étudiants qui amènera l’étudiant de Chlef à prendre place, avec peu d’universitaires, certes, mais beaucoup de lycéens et de collégiens dans les wagons du train tracté par la locomotive du Front de libération nationale (FLN) qui mène à la gare de la Liberté. Youcef attendait cet instant avec impatience. Le moment venu, il était sur le terrain de la contestation, participant activement aux côtés des siens à concrétiser l’appel de l’Union générale des étudiants musulmans d’Algérie (Ugema) à une grève illimitée et à rejoindre le FLN. Quand bien même il ne militait pas au sein de cette organisation estudiantine, il était fidèle à ce rendez-vous historique. Un événement d’une grande portée qui allait bouleverser la vie de Khatib qui se retrouvera dans un tout autre campus que celui de la faculté, à savoir le maquis.
Contrairement à l’Université, ce campus comportait un seul module qui se jouait sur le terrain et à ne pas rater : libérer le pays ou rejoindre le lot des premiers chouhada qui ont inscrit depuis deux ans leurs noms sur l’autel du sacrifice.
Il se retrouvera dans la Wilaya IV, celle du Centre qui s’étend à l’est jusqu’ aux confins de Bouira et à l’ouest aux vastes plaines de Chlef, avec la responsabilité du service de la santé, bourlinguant d’une zone à l’autre, stéthoscope dans une main et le fusil dans l’autre. Et Dieu seul sait combien de fois il avait frôlé la mort avec ses compagnons à qui on colle aujourd’hui le nom de rescapés, tant la faucheuse les guettait à tout moment dans tous leurs déplacements. Des déplacements rendus nécessaires pour prêter main-forte ici, pour fuir les bombardements massifs des djebels et des zones rurales par là, à la recherche de refuges plus sécurisants.
Assumant ce risque, Khatib poursuivait sa mission, d’autant plus qu’il allait endosser de nouvelles responsabilités, notamment à partir de février 1959 en devenant, d’abord dans sa wilaya, responsable politico-militaire de la zone 3 avec le grade de capitaine, puis en 1960 en étant membre de son conseil en devenant commandant pour finir colonel après avoir assuré, en 1961 collégialement sa direction après la mort de son premier responsable, le commandant Si Mohamed, de son vrai nom Djillali Bounaâma. Une juste consécration pour les efforts que n’a cessé de déployer Si Hassan, son nom de guerre, depuis qu’il a rejoint le front.
A l’indépendance, la Wilaya IV, à sa tête Si Hassen, a multiplié vainement ses gestes d’apaisement et de bonne volonté pour éviter la cassure et la guerre fratricide dans la course au pouvoir.
Le colonel enlèvera majestueusement sa vareuse et ses galons pour reprendre ses études de médecine et devenir chirurgien tout en étant à l’écoute des pulsations de la société et des événements que traverse son pays. Après l’ouverture démocratique, il sera candidat à l’élection présidentielle de 1999, mais finira par jeter l’éponge bien avant le jour du scrutin pour se consacrer à la Fondation sur la mémoire de la Wilaya IV qu’il créera en 2001 dont l’objectif principal est de collecter des témoignages historiques et d’en faire une base de données.
Notre rencontre avec Si Hassan dans le siège de la Fondation nous a permis de connaître le profil d’un historique d’une très grande modestie qui dissèque les pages du passé historique de sa wilaya, selon ce qu’il a vécu et non sur la base de ce que racontent les uns et les autres. Il n’est pas de ce genre de tribun aux envolées lyriques ou véhémentes pour faire acte d’héroïsme en tirant à lui la couverture des hauts faits d’armes ou raconter des choses auxquelles il n’a pas été acteur. Bien au contraire, se dégagent de son discours une sérénité, une sagesse et une pédagogie dans la chronologie des événements qui ont émaillé la Wilaya IV, tout en associant à ses interventions ses compagnons d’armes, notamment Mustapha Tounsi, auteur du livre Il était une fois la Wilaya IV, itinéraire d’un rescapé. C’est dire que la collégialité coule dans les veines de Si Hassan même au crépuscule de sa vie!