Al-Qaida au Maghreb islamique menace pour la première fois le Maroc et son roi
C'est par un tweet qu'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a annoncé le 12 septembre la mise en circulation, le même jour, d'une longue vidéo de quarante et une minutes et dix-neuf secondes entièrement consacrée au Maroc, désigné comme le "royaume de la corruption et du despotisme". Une première. Depuis qu'elle a repris le label Al-Qaida de la maison mère en 2007, l'organisation djihadiste n'avait jusqu'ici jamais ciblé avec autant de virulence ce pays. Mohammed VI apparaît à chaque instant dans cette vidéo. Son portrait est brûlé.
Les images de propagande datées du 1er septembre et diffusées par Al-Andalus, le site "officiel" d'AQMI, ne font pas dans le détail. Elles débutent par la cérémonie d'allégeance au roi, immédiatement suivies par celles de manifestations réprimées au Maroc. Le classement de la fortune royale par le magazine américain Forbes côtoie des scènes de misère. Une compilation d'archives filmées met bout à bout la rencontre entre Mohammed VI et l'ancien président américain George W. Bush en 2002 puis, plus brièvement, la réception du chef de l'Etat français, François Hollande, lors de sa visite au Maroc au mois d'avril.
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Les critiques des islamistes marocains sur la présence d'Elton John lors du festival international de musique Mawazine, organisé chaque année à Rabat, sont mises en avant. Le tout s'achève par des images de combattants djihadistes et par ce message audio du chef d'AQMI, Abdelamalek Droukdal : "Au lieu d'émigrer en patera , les jeunes doivent émigrer vers Allah." Le but affiché est bien une opération de recrutement.
"L'ORGANISATION ESSAIE DE DÉVELOPPER SES SECTIONS"
En déroute dans le nord du Mali, après l'intervention militaire "Serval" menée par la France avec le soutien du Tchad en janvier, sa direction encerclée depuis des années dans le nord de l'Algérie, AQMI chercherait ainsi à élargir son audience dans le Maghreb. "Depuis quelque temps, AQMI utilise une nouvelle stratégie et réalise par vidéo des "focus" sur des pays. Elle l'a fait sur la Libye et la Tunisie, ce qui a abouti, peu après, à l'installation d'un groupe dans le mont Chaambi", relève Mathieu Guidère, professeur d'islamologie et de pensée arabe à l'université Toulouse-II-Le Mirail. Depuis le début de l'année, sur la frontière commune avec l'Algérie, l'armée tunisienne traque en effet un groupe djihadiste responsable de la mort d'une dizaine de soldats.
"Pour la première fois, AQMI s'adresse aux Marocains avec une construction narrative qui vise point par point à démontrer que le roi n'est pas le Commandeur des croyants, poursuit l'islamologue. L'organisation essaie de développer ses sections, une trentaine de Marocains l'ont déjà rejointe, mais on sent, depuis peu, une accélération." Le Maroc a déjà été visé sur son sol par des attentats meurtriers, notamment en 2003 à Casablanca, puis en avril 2011, lorsqu'une bombe placée dans un café de Marrakech avait fait 17 morts, dont plusieurs Français.
Depuis, ses services de sécurité annoncent à intervalles réguliers le démantèlement de cellules liées à Al-Qaida, sans que l'on puisse parler d'accélération.
MÉDIAS EN ACCUSATION
Contactées, les autorités marocaines n'ont pas souhaité réagir, mais, signe de leur inquiétude, elles ont décidé de poursuivre, mardi 17 septembre, deux médias accusés d'avoir relayé la vidéo d'AQMI. "Suite à la diffusion par le journal électronique Lakome d'une vidéo attribuée à Al-Qaida au Maghreb islamique, comprenant un appel clair et une incitation directe à commettre des actes terroristes dans le Royaume du Maroc, le parquet général a donné ses instructions à la police judiciaire pour procéder à l'arrestation du responsable dudit journal électronique pour investigation", a indiqué le procureur du roi, dans un communiqué cité par l'agence marocaine MAP.
Dès mardi matin, Ali Anouzla, directeur de la version arabophone de Lakome a été interpellé, soulevant l'indignation de journalistes et de responsables associatifs qui dénoncent une atteinte à la liberté de la presse alors que le site marocain avait bien mentionné qu'il s'agissait d'une "vidéo de propagande" en renvoyant par ailleurs sur le lien du site d'El Pais.
Mardi soir, le gouvernement marocain a annoncé qu'il allait poursuivre en justice le quotidien espagnol. Le ministre de la justice, Moustapha Ramid, a contacté son homologue espagnol, Alberto Ruiz-Gallardon, pour lui faire part de la "préoccupation" du Maroc, selon un communiqué du ministère. Sur le réseau YouTube, la vidéo a été supprimée.