Rapport de Abane Ramdane au CNRA (1956)
Les frères qui prirent la décision de déclencher l'insurrection du Ier Novembre 1954 se séparèrent en se donnant rendez-vous dans trois mois. Ce rendez-vous devait leur permettre de faire le point de la situation, d'étudier ensemble les besoins de la Révolution et de désigner une direction.
A. La situation avant le Congrès du 20 Août 1956
La rencontre n'eut pas lieu. Trois sur cinq des responsables qui étaient à l'intérieur devaient tomber soit entre les mains de l'ennemi soit au champ d'honneur (Bitat, Ben Boulaïd Mustapha et Didouche). Les responsables qui étaient à l'extérieur n'ont pas pu se rencontrer à l'intérieur à cause du danger que présentait à l'époque un tel déplacement. La liaison inter-zonale 2 n'existait pas. Les 2/3 du territoire national n'avaient pas bougé, ce qui rendait impossible la jonction des groupes armés existants. La Révolution faute de cette rencontre restera donc sans autorité nationale reconnue. A cela il y a lieu d'ajouter un vide politique effrayant. Le FLN en tant qu'organisation n'était pas encore né. Les quelques responsables qui avaient échappé à la mort et à l'arrestation hésitaient dans leur isolement à prendre des décisions sur les grands problèmes.
Cette situation terrible ne devait heureusement durer que quelques mois.
Petit à petit la Révolution progressait dans tous les domaines. Difficilement la liaison se rétablissait entre les zones Alger-Kabylie, Alger-Oranie, Alger-Paris, Alger-extérieur, et plus tard Alger-Nord constantinois, Cependant la répression interrompait fréquemment cette liaison. Par ailleurs, le FLN commençait à se populariser, d'abord à Alger et ensuite dans le reste du pays. Le mythe de «I'Algérie française» était démoli. Les maquis prenaient de l'ampleur et s'implantaient solidement chaque jour davantage. Le problème algérien était enfin clairement posé.
Devant la poussée insurrectionnelle, les anciennes formations politiques classiques (MTLD, Oulémas, UDMA) s'intégrèrent dans le FLN. Le PCA s'obstina à suivre mais n'ayant aucune base populaire solide, il ne tarda pas à être emporté par la tourmente.
Le rassemblement au sein du FLN de toutes les énergies vives du pays devait faciliter l'union dans le feu de la lutte de tout le peuple algérien.
L'esprit FLN qui avait banni le sectarisme des anciens partis politiques a été pour beaucoup dans cette union du peuple algérien. A ce stade de la lutte, il était indispensable que tous les responsables de l'insurrection se rencontrassent pour confronter les points de vue et se définir dans tous les domaines.
La rencontre eut lieu le 20 août 1956 dans la vallée de la Soummam.
B. Le Congrès du 20 Août 1956
On a beaucoup parlé et encore plus écrit sur le Congrès du 20 Août 1956. Certes le Congrès du 20 Août n'a jamais eu la prétention d'être une panacée à tous nos maux, cependant, tout homme de bonne foi est obligé de reconnaître que le Congrès du 20 Août a été la plus belle victoire remportée sur l'ennemi depuis le ler Novembre 1954. Au milieu de difficultés sans nombre (alertes, ratissages, embuscades, accrochages), la plupart des responsables de l'Oranais, de l'Algérois et Constantinois ont délibéré 15 jours durant. De ces délibérations devaient sortir :
a. Les organismes dirigeants de la Révolution CNRA et CCE.
On a critiqué la composition du CNRA, pourtant cet organisme reflète l'union nationale réalisée au sein du peuple. Le CNRA, qu'on le veuille ou non, est un organisme représentatif pouvant valablement engager l'avenir du pays.
b. Le principe de la primauté du politique sur le militaire
Ce principe que d'aucuns ont aussi contesté est un principe universel valable dans tous les pays et dans toutes les révolutions car il affirme le caractère essentiellement politique de notre lutte à savoir : l'indépendance nationale.
c. Le principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur
Là encore on a trouvé à redire. Pourtant ce principe est encore valable pour une foule de raisons dans la moindre est qu'une révolution comme la nôtre ne peut être dirigée que par des hommes qui la vivent et indiscutablement on ne peut vivre la Révolution algérienne qu'à l'intérieur des frontières de l'Algérie.
d. La structure de l'ALN
La structure conçue le 20 Août a permis à l'ALN de devenir une véritable armée avec sa personnalité propre. Les grades, les insignes, la composition des unités, etc. furent uniformisés.
e. Les Assemblées du peuple
Innovation heureuse qui répond à un sentiment profond chez notre peuple : l'amour de la démocratie. Les Assemblées du peuple permettent à nos populations de faire leur apprentissage dans l'art de se gouverner elles-mêmes et au FLN de consolider et d'élargir ses assises populaires.
C. La crise Mahsas
Mis au courant de la réunion dès le mois de février 1956, les frères de l'extérieur n'ont pu venir assister au Congrès pour des raisons indépendantes de notre volonté. Il en a été d'ailleurs de même des frères des Aurès-Nemmenchas. Néanmoins, les congressistes décidèrent de retarder la publication des décisions en attendant de recueillir les voux et suggestions des frères absents. Les décisions du Congrès furent d'une part remises aux frères Zirout et Amirouche chargés de les communiquer respectivement aux Nemmenchas et aux Aurès et d'autre part, envoyées au Caire par un agent de liaison spécial. Ce dernier rencontra Ben Bella à Tripoli et les lui a remises en mains propre en lui demandant de les communiquer aux trères de l'extérieur. Malheureusement, il se produisit l'épisode de l'avion que tout le monde connaît et qui se termina par l'arrestation des cinq et la saisie de tous les documents en leur possession. Ainsi, les décisions du Congrès qui étaient encore secrètes tombèrent entre les mains de l'ennemi.
Devant cette nouvelle situation, le CCE ne pouvait plus retarder la publication des décisions du Congrès parce que :
a. Les Français pouvaient d'un moment à l'autre les rendre publiques ce qui n'aurait pas manqué de provoquer des réactions très vives et justifiées de la part des militants.
b. L'ennemi criait à qui voulait l'entendre que le FLN était décapité et le moral du peuple et de nos troupes commençait à être atteint. C'est alors que le CCE prit sur lui la responsabilité de faire paraître les décisions du Congrès du 20 Août dans le n° spécial du Moujahid daté du1er Novembre 1956.
La publication des décisions provoqua un échange de lettres entre le CCE et les frères de la Santé. Ces derniers reprochaient au Congrès son manque de représentativité, sa conception du FLN qui a été le principal critère dans le choix des hommes composant les organismes dirigeants de la Révolution, le principe de la primauté de l'intérieur sur l'extérieur, le principe de la primauté du politique sur le militaire et enfin que la République algérienne devait à leur sens revêtir un caractère nettement islamique.
Nous avons exposé plus haut les arguments qui militent en faveur de la conception du FLN des congressistes et du choix des hommes devant siéger aux organismes dirigeants de la Révolution. Nous avons aussi développé les arguments qui militent en faveur des principes : primauté du politique sur le militaire et primauté de l'intérieur sur l'extérieur.
Il nous reste à examiner la non-représentativité du Congrès, le caractère islamique de la République Algérienne.
Toute l'Algérie était présente au Congrès exception faite des responsables de l'ex-zone Aurès-Nemmenchas qui ne sont pas arrivés à temps à cause des ratissages et des luttes intestines qui ravageaient cette partie du territoire algérien. Quant à Souk Ahras, pour tous les congressistes elle faisait partie de l'ex- zone Nord constantinois qui avait envoyé au Congrès ses cinq principaux responsables.
L'Oranie était représentée par son principal responsable. Quant à l'extérieur nous avons dit qu'ils étaient avisés plusieurs mois à l'avance.
Pour ce qui est du caractère islamique de la future Republique algérienne, le CCE considère que c'est-là un argument démagogique auquel ne croient même pas ses auteurs. Les frères de la Santé n'ont pas été les seuls à contester les décisions du congrès. Il y aurait aussi Mahsas qui avait été désigné par Ben Bella comme responsable de la base de Tunis.
Le congrès avait désigné Mezhoudi et Benaouda pour se rendre à Tunis afin de clarifier la situation et activer l'envoi des armes. Dès leur arrivée, ils se heurtèrent à Mahsas qui était déjà maître de la situation. Ce dernier non seulement conteste les décisions du congrès mais entreprend un travail de sape et dresse les éléments des zones frontalières (Souk Ahras, Aurès-Nemmanchas) contre le Congrès et le CCE. Le résultat est que les armes sont bloquées. Il s'ensuit une lutte anarchique entre algériens. Ces agissements atteignent dangereusement le prestige du FLN auprès des autorités tunisiennes qui tiennent compte de la situation à leurs frontières.
La réaction de la délégation à l'extérieur tant au Caire qu'à Tunis, une lettre officielle du CCE au gouvernement tunisien et enfin l'arrivée de Ouamrane devaient isoler Mahsas qui parvint cependant à fuir. La situation est aujourd'hui complètement rétablie et un tribunal militaire vient de clore la crise Mahsas en prononçant 13 condamnations à mort dont deux par contumace (Mahsas et Ben Boulaïd Omar).